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Climat Libé Tour Paris : tribune

Il faut aimer la ville, par Emmanuelle Cosse

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Face aux bouleversements climatiques, la ville se doit d’être vivante et de repenser son modèle vers plus de solidarités et de sociabilités.
par Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du Logement, présidente de l’Union sociale pour l’habitat et directrice de l’Observatoire de la transition énergétique et sociale de la Fondation Jean-Jaurès
publié le 5 mars 2023 à 11h50
Transports, rénovation industrielle, végétalisation… En 2023, Libé explore les enjeux de la transition écologique à travers une série de rendez-vous inédits. Objectif : trouver des solutions au plus près des territoires. La deuxième étape s’ancre à Paris, les 11 et 12 mars à l’Académie du climat (entrée libre sur inscription). Un événement réalisé en partenariat avec la ville de Paris, le Crédit coopératif, Velux, La Plate-forme d’observation des projets et stratégies urbaines (Popsu), Nowu, le média de l’écologie de France Télévisions et la Fondation Jean-Jaurès.

Durant les années 80 et 90, l’expression «global village» était à la mode. On décrivait ainsi (pour les dénoncer ou les soutenir) la mondialisation et l’uniformisation des modes de vie. Le regretté Serge Daney, critique de cinéma et journaliste des Cahiers du cinéma et de Libération, attaquait cette idée de «village» pour lui préférer la ville, ses flux dans lesquels on s’insère et qu’on peut quitter, et son anonymat choisi pour lutter contre le contrôle social. Dans une vraie ville, disait-il, «on a le sentiment qu’il ne nous manque rien». Le monde commence au pied de l’immeuble, par ses boutiques, par ses bistrots, par les flots de visages et d’odeurs et, ajoutait Daney, «par la fenêtre du cinéma». Dans un de ses brillants détours de pensée, il retrouvait finalement la définition classique du géographe Paul Claval : c’est une machine à maximiser les échanges présents dans une société.

Cet amour des villes a quitté le débat public majoritaire. Dans une large part du spectre politique, on veut démétropoliser, dédensifier, prendre du champ ou rendre désirable le micro-lopin individuel. Parce qu’on a un peu abandonné l’envie de faire du commun et de changer les organisations humaines déséquilibrées, on accuse la ville et on mythifie la nature. La pensée écologiste est ainsi fracturée entre la tentation populiste anti-urbaine et la défense d’un modèle moins prédateur de terres. Comment concilier les objectifs écologiques ambitieux du «zéro artificialisation nette» et l’opposition systématique à la construction en milieu urbain ? C’est dans un nouveau mollétisme que prospère cette contradiction qui consiste à défendre à la tribune de grands objectifs écologiques tout en se faisant en réalité l’allié de ceux qui veulent privatiser les bénéfices des villes et socialiser leurs difficultés. Le rêve plus ou moins assumé : une ville en sourdine, avec moins d’habitants, moins d’échanges, moins de déplacements, moins de rencontres, moins de solidarités…

Et pourtant, une autre pensée de la ville est à inventer à l’heure des bouleversements climatiques et des recompositions sociales. Nous ne sommes pas condamnés à choisir entre l’entassement urbain de masses malheureuses et le malthusianisme du rêve villageois des bien-logés. Les étés deviennent brûlants : quelles sont les sociabilités et les solidarités à construire ? Quels paysages urbains de l’ombre, de l’eau et des courants d’air frais pouvons-nous proposer ? Sous quelles formes architecturales et dans quels matériaux cela doit-il se traduire ? Sur la maîtrise du sol, voulons-nous continuer de laisser dessiner les villes par la spéculation ? Il est temps d’encadrer le prix des valeurs foncières comme nous avons réussi à le faire pour les loyers. Enfin, en dehors des clichés et des tics commerciaux, quelles nouvelles esthétiques voulons-nous promouvoir pour défendre une société solidaire, émancipatrice et durable ? Pour reprendre ce récit collectif sans naïveté ni complaisance, il faut aimer la ville !

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